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Notre pays se déchire depuis trente ans au sujet du port du voile de certaines Françaises de confession musulmane. Ces femmes sont de plus en plus nombreuses, tant l'influence des prédicateurs extrémistes est très forte. Le sujet est donc grave. Beaucoup de choses sont dites. Mais beaucoup de ces choses sont fausses.Il nous est apparu urgent à nous autres, Français de culture ou de confession musulmane, humanistes, progressistes et féministes, de prendre la parole publiquement.
La régression ne réside pas dans le fait de porter le voile, mais dans celui d’imposer aux femmes une norme vestimentaire.
Je fréquentais des milieux “underground” à une époque. Un ensemble de métalleux-es, gothiques, nerds, autant de gens qui se mettaient volontairement dans une position de relative marginalité par rapport à la société. Ces groupes n’avaient ni ambition ni revendication politique, ils étaient constitués de fait par des gens partageant les mêmes hobbies et goûts. L’un des éléments marquants pour moi de ces milieux, c’est qu’il y avait toujours une sorte de code permettant de s’identifier. Un code qui n’avait pas de sens dans la société, parfaitement incompréhensible aux béotiens, mais qui permettait de s’identifier auprès des membres de la communauté. Par exemple “Moi je suis plutôt Debian Sage/KDE/vim”, ou encore “Je suis plutôt Viking/Thrash/Doom”.
Dans certains milieux féministes/queer, en ligne ou hors-ligne, j’ai l’impression que le genre et la sexualité deviennent de tels élément d’identification. D’une certaine manière, le genre n’a plus son sens politique de système d’oppression des femmes, qui écrase au passage les personnes trans par la fixité imposée de l’assignation genrée. Seul existe le genre compris comme identité, une identité qui, parce qu’elle n’est pas corrélée à une quelconque perception sociale, est validée par la seule autodéfinition de la personne. De la même façon, la sexualité de chacun-e n’est plus définie socialement, c’est-à-dire par sa conformité ou sa transgression de l’hétérosexualité obligatoire, mais par les préférences individuelles de chaque personne, en termes de genre, de caractéristiques sociales des partenaires ou du type de contact préféré (vanilla, kinky, BDSM, …). Du coup, genre et sexualité dans ces milieux deviennent de simples éléments d’identification, on dit par exemple “je suis agenre demiboi queer”. Ca ne correspond a priori à rien socialement puisque seule l’autodéfinition établit ces éléments, mais c’est une identité (qui je suis) autant qu’une identification (le code secret pour rentrer dans le milieu). Soit tu comprends ce que ça veut dire et tu peux faire partie du groupe, soit tu ne comprends pas et tu n’es pas invité-e à la soirée.
Alors c’est plutôt chouette, de se nommer et de s’identifier d’après son ressenti, et de se faire un petit groupe de gens « qui en sont ». Après tout, la société patriarcale nous incite fortement à taire nos ressentis au sujet de notre genre et de notre sexualité, au nom de l’hétérosexualité, de l’assignation sexuée et des rôles genrés qui en découlent. Le fait de pouvoir exprimer son ressenti à ce sujet, par exemple “je ne me reconnais pas dans les rôles genrés traditionnels” peut donner l’impression d’une libération personnelle. Est-ce aussi simple ?
Effectivement, il me semble qu’il y a bien une part de libération. Anecdote perso : au début de mes questionnements de genre, je me suis sentie libérée par l’affirmation de “je ne me reconnais pas dans ce qu’on attend socialement d’un homme” et me définissais donc non-binaire, c’était mon ressenti. Je ne suis pas la seule dans ce cas, je connais de nombreuses personnes qui ont commencé une réflexion sur leur genre par des affirmations similaires, que ces personnes aient fini par transitionner ou non. De la même façon, l’affirmation de “je ne suis pas intéressé-e par le sexe de type papa-dans-maman”, peut être libératrice. A partir de cette affirmation, on peut établir ses propres préférences, qu’elles entrent dans le cadre de l’hétérosexualité ou non. De même, rencontrer dans ces milieux d’autres personnes “hors-normes” est potentiellement salvateur étant donné que nous ne sommes finalement pas très nombreux-e-s, et les chances de nous rencontrer par hasard sont faibles.
Là où sa coince, c’est qu’il me semble que dans ces milieux chacun-e se retrouve artificiellement isolé-e dans son ressenti, parce qu’il ne peut être par nature qu’individuel. Mon ressenti n’est pas celui de ma voisine, parce que disons je suis une meuf trans et que elle se définit comme non-binaire transféminine. Nos ressentis sont différents, et cela donne artificiellement l’impression que nous ne nous ressemblons pas. Pourtant, si on regarde la façon dont nous sommes perçues socialement, elle est tout comme moi vue comme une femme ayant transitionné. En d’autres termes, notre positionnement social est le même toutes choses égales par ailleurs et il y a de fortes chances que nos vécus se rapprochent. Pour arriver à tisser réellement un lien entre nous (ma voisine et moi), nous devrions pouvoir parler de ce qui nous rapproche, dépasser le ressenti et le “je suis non-binaire. – Ha ben moi je suis une femme.” qui nous oppose.
Idéalement, les milieux militants féministes et queer devraient aider au développement de telles discussions et réflexions à partir de ces ressentis. L’affirmation d’une non-conformité de genre peut servir de base à une réflexion plus poussée, c’est à dire à la fois à une réflexion personnelle sur sa propre place dans la société, et à une réflexion plus globale sur le système de genre, c’est à dire en gros l’assignation à un sexe, les rôles genrés et l’oppression des femmes. De la même façon, ce serait splendide qu’on puisse réfléchir sur le cadre social de ses désirs sexuels.
Malheureusement, ça coince. J’ai l’impression qu’on se contente largement de donner un nom à telle ou telle expression d’un ressenti. De telle affirmation, on dit “ha ben tu dois être bigenre”, de telle autre “genderfluid” ou “agenre”, etc… etc… Ca marche aussi pour les sexualités, d’une affirmation “j’aime tel ou tel type/genre de personnes”, on dit “oh tu es bidulesexuel-le”. Et c’est comme ça, indiscutable. Tenter de creuser, de bâtir une réflexion à partir du ressenti, même en tant que la personne qui ressent, devient une sorte de tabou. On se croirait à Poudlard, tiens. Le choixpeau décide, “te voilà genderflux et sapiosexuel-le”, et ces catégories qu’on dirait créées par Dieu sont littéralement indiscutables.
A partir de là, faute d’autoriser une réflexion, on se retrouve plongé-e dans un monde de mots et d’analogies, où la sémantique n’a plus son mot à dire. Des idées venant d’ancien-ne-s féministes, militant-e-s trans et/ou LGB, etc.… sont coupées des réflexions qui les sous-tendent et, une fois dépouillées de leurs parties les plus complexes, deviennent des tables de la loi. Elles servent dès lors à construire le présent sous forme d’analogie, à partir du ressenti de la personne qui parle. Exemple : “Étant donné que les personnes trans souffrent de transphobie, si je m’auto-définis trans et qu’on me nie cette qualité, alors c’est de la transphobie puisque je souffre de ce déni”. Si on joue à un jeu de construction de mots, c’est sans doute vrai. Si on se paye le luxe d’une réflexion ancrée dans le concret, non. La transphobie a pour fonction sociale d’assurer la fixité de l’assignation sexuée et genrée en frappant les personnes qui transgressent cette prétendue fixité. Imaginons que socialement untel a été assigné homme à la naissance et qu’il soit lu comme homme sans ambiguité ni aucune intention de transitionner, il n’est pas en train de transgresser la fixité de l’assignation, quelle que soit son auto-définition. S’il s’auto-définit trans dans ce contexte là, cela ne change rien au fait qu’il ne vit pas de transphobie, puisqu’il ne transgresse absolument pas la fixité de l’assignation.
En 2010, la Cinémathèque avait proposé une conférence intitulée « Alice Guy a-t-elle vraiment existé ? », pourquoi s’étonner alors de ce déni de la présence des femmes dans l’industrie du cinéma mondial. Il serait temps aujourd’hui de se rendre compte que non seulement Alice Guy a existé, qu’elle a été la première réalisatrice de l’histoire, avant Méliès, directrice du département fiction de la Gaumont jusqu’en 1907, et que depuis, il y a toujours eu des femmes derrière la caméra.
Le groupe de musique « VIOL » sera présent le 27 mars à Paris, pour un concert organisé à « La mécanique ondulatoire » dans le 11ème arrondissement.